Chroniques de la strangulation économique ordinaire
Quittons un moment les eaux marécageuses de la finance, du foreclosure gate, de la macro-économie et des indicateurs plongeants, pour le monde merveilleux de la micro-économie à la Française.
Quel rapport y a-t-il entre Mohamed Bouazizi et la patronne d’un petit hôtel de village de la vallée de la Loire ? A priori, ils ne se ressemblent guère. Et pourtant.
Mourir pour un chariot de légumes
Mohamed Bouazizi est le jeune homme qui, en s’immolant par le feu en Tunisie, a déclenché une vague de révoltes populaires qui ont emporté Ben Ali, Moubarrak, Kadhafi, et peut être demain El Assad et Saleh. Beau carton ! Certes, rien ne dit que ce que qui surgira de ces révoltes populaires sera au final positif, mais du point de vue de ceux qui ont risqué leur vie pour renverser les tyrans en place, au moins, cela valait la peine d’essayer.
Mohamed Bouazizi s’est immolé en décembre 2010 parce que la police lui avait saisi un chariot de légumes, parce qu’il n’avait pas toutes les autorisations nécessaires pour les vendre. Il s’est suicidé parce qu’il voulait seulement qu’on le laisse vendre ses légumes. Comme l’écrit Habib Sayah, Son message est ouvertement libéral :
“Laissez faire ! Laissez moi vivre !
Foutez moi la paix ! Cessez de m’étrangler !”
En Tunisie, il faut souvent plusieurs mois de démarches, plusieurs mois de revenu moyen de pots de vin, pour pouvoir ouvrir un commerce ou un business, et en cas de succès, le profit est taxé à 62%. En conséquence, le pays est pauvre, beaucoup survivent de petites combines au black. Et lorsque la coupe est pleine, les empêcheurs de travailler d’hier sont sous le feu, c’est le cas de le dire, de la colère populaire.
Atlas Shrugs
Quel rapport avec notre hôtelière des environs de Langeais ? Dans une conversation à bâtons rompus, celle-ci, une petite dame près de la retraite, que l’on devine courageuse et dure à la tâche, nous explique avec lassitude qu’elle va devoir fermer. L’administration, nouvelles normes oblige, exige que son établissement renforce ses normes anti incendie et installe des portes coupe-feu un peu partout. Elle veut que sa charpente du XVIIIème siècle et son toit en ardoises reçoive des trappes de désenfumage. Elle veut, enfin, que sa vieille bâtisse du même siècle, en pente et pleine de marches, soit mise aux normes handicapés. Pour janvier 2012.
Elle va jeter l’éponge, notre petite hôtelière. Son établissement est modeste, une douzaine de chambres, à 60 euros l’une, à peu près. Elle pourrait s’endetter une fois de plus, pour complaire aux exigences de l’état emmerdeur. Mais elle n’a plus la force. Elle est proche de la retraite. Elle va fermer, de guerre lasse.
Et elle ajoute qu’elle connaît plusieurs petits hôteliers de la région dans la même situation. Même état d’esprit. “Atlas Shrugs”. Fermeture. Rideau.
Admettons que 10 hôtels par département ferment. 1000 en France. C’est peu en apparence, mais c’est 1000 propriétaires dont le capital productif est stérilisé par une administration qui, depuis qu’on lui interdit, fort justement d’ailleurs, de faire concurrence au secteur privé, se réfugie dans l’hyper-normatisme pour justifier son existence. La France fait actuellement fructifier hors de tout contrôle les catégories de fonctionnaires dont l’unique et inique raison d’être est de pourrir la vie des autres.
Mais la sécurité, qu’en faites-vous, sale exploiteur ?
Je sens les bonnes âmes et les fonctionnaires de la direction départementale du tourisme (sic !) bondir. “Comment, mais vous voulez donc que les touristes et les VRP dorment dans des établissements pas aux normes, donc terriblement dangereux ?”
Tout d’abord, notons que sur ces centaines hôtels un peu vieillots qui vont fermer, aucun n’avait brûlé depuis pas mal de temps, alors même qu’ils n’étaient conformes qu’aux normes de 1976 ou 1998. Et même si un mouroir à clandestins a brûlé il y a trois ans au nord de Paris, entraînant la mort de plusieurs familles, fallait-il surréagir et faire fermer TOUS les établissements qui ne sont conformes qu’à la dernière version de la norme ?
La France se “Ben Alise” : une administration tentaculaire étouffe de plus en plus les petits, les “entrepreneurs d’en bas”. Notre hôtelière ne s’immolera pas par le feu. Pas encore. Le niveau d’exaspération n’est pas le même. Parfois, bien sûr, un petit chef d’entreprise se suicide, après une séquence de racket fiscal. Tout le monde s’en fout. C’était un sale capitaliste, un vil exploiteur, de toute façon.
Solution de bon sens
Je suggère modestement, dans le cas hôtelier qui nous occupe, une solution plus simple au problème de mise aux normes de sécurité : En admettant que la norme soit révisée tous les 10 ans (je n’en sais rien, c’est pour illustrer), en plus du classement étoiles NN de l’hôtel, indiquer son classement “S 2011″ pour les hôtels dernier cri, “S 2001″ pour les hôtels un peu plus anciens, et ainsi de suite. Les consommateurs choisiront comme des grands s’ils acceptent de confier leur vie à un hôtel qui ne respecte que la norme de sécurité de 2001 ou de 1991.
Ce sera d’ailleurs un puissant incitatif, pour les hôteliers, à se mettre à une norme pas trop ancienne : question d’image, montrer que l’on a pas fait de gros travaux depuis 1976, ce n’est pas terrible. Mais notre hôtelière, au lieu de devoir financer de gros travaux sur un délai très court, pourrait choisir de les étaler sur 7/8 ans. Et n’afficherait son précieux S-2011 qu’en 2018. Et ce serait très bien comme cela.
Quant à l’accès aux personnes à mobilité réduite, reconnaissons que s’il est important qu’elles aient accès à un nombre suffisant d’hôtels adaptés, il est également idiot de forcer TOUS les hôtels à être aptes à les recevoir. Notamment ceux qui exploitent des vieilles bâtisses du XVIIIème siècle au charme fou, mais qui ne peuvent pas aplanir le terrain en pente et installer un ascenseur.
C’est encore loin, Tunis ?
Mais notre histoire ne s’arrête pas là.
Notre hôtelière ajoute, dans la conversation, que ce qui lui fait le plus mal, c’est que non seulement les chambres d’hôtes qui prolifèrent autour d’elles ne sont pas soumises aux mêmes contraintes, mais qu’en plus, le Conseil Général local (d’Indre et Loire), le même qui vient d’augmenter ses impôts fonciers de plus de 30% ces trois dernières années, subventionne leurs travaux d’aménagement à hauteur de 65% (! !), subvention auxquelles les hôteliers n’ont évidemment pas accès. Sans doute un élu important de la majorité avait-il de bons amis qui tiennent une chambre d’hôte…
Vous comprenez pourquoi la Tunisie n’est pas si loin ?
Non seulement le bras droit de l’administration (l’état) étrangle jusqu’à l’étouffement tout ce qui ose entreprendre, mais le bras gauche (Collectivités locales) choisit les gagnants de la compétition économique et distribue l’argent public à ses clientèles préférées, les deux bras se terminant par une main enfoncée de plus en plus profondément dans vos poches.
Cela a beau avoir les apparences légales du résultat d’un vote démocratique, les différences avec la Tunisie sont assez cosmétiques, vous ne trouvez pas ? De là à imaginer que cela se finisse de la même façon, un jour…
Le mot de la fin
“Si ça bouge, taxez. Si ça bouge encore, réglementez. Quand ça ne bouge plus, subventionnez !”, disait avec son sens incomparable de la formule choc Ronald Reagan, en parlant des préceptes économiques en vigueur dans les cercles de décision de l’état.
Il aurait pu ajouter : “Et quand les gens se révoltent, planquez vos fesses, salopards !
Vincent Benard