La Grèce doit-elle sortir de la zone euro
Les chiffres publiés récemment sont éloquents : l’endettement public de la Grèce dépasse 150% du PIB contre 100 % en 2008, ce qui équivaut à environ 350 milliards d’euros. Dans le même temps, la récession économique devrait atteindre 3% en 2011, diminuant d’autant les recettes fiscales collectées par l’Etat grec.
Depuis un an et la mise en place d’un programme d’aide international de 110 milliards d’euros, la situation locale s’est encore détériorée : le déficit budgétaire primaire pour les cinq premiers mois de 2011 est ressorti à plus de 10 milliards d’euros, en hausse par rapport aux prévisions gouvernementales, ce qui a conduit Standard & Poor’s à dégrader la note grecque de 2 crans, à CCC. On sait que l’Etat grec devrait en fait dégager un excédent budgétaire primaire de 6% pour pouvoir au minimum stabiliser sa dette ! On en est bien loin.
En conséquence, les taux d’intérêt sur les emprunts grecs ont continué à grimper : le rendement des obligations à 10 ans dépasse désormais les 17% ! Par ailleurs, on sait déjà que la Grèce aura besoin d’au moins 60 milliards de fonds supplémentaires dans les deux années qui viennent.
Il semble donc qu’une restructuration devient incontournable à plus ou moins long terme. Il faut éviter un défaut de paiement unilatéral, qui entrainerait des conséquences catastrophiques pour la Grèce : suspension des financements européens (une tranche de 12 milliards d’euros est actuellement en attente de versement) ; déclenchement des paiements de CDS pour les acheteurs de protections et montée des primes ; fermeture de l’accès des marchés financiers ; arrêt de l’assistance de la BCE (qui ne pourrait plus accepter les titres grecs en collatéral) ; fuite des investisseurs, etc.
Même une restructuration à l’amiable ne sera pas sans dangers : l’allongement des maturités, la baisse des taux d’intérêt, la remise partielle du remboursement du principal se traduiront par des pertes pour les prêteurs de l’ordre de 50%. Ceux-ci sont, d’une part, des institutions publiques (BCE), d’autre part des banques essentiellement européennes ; celles-ci devront passer des provisions, qui viendront diminuer leurs bénéfices. En outre, le système bancaire grec qui détient des stocks importants d’obligations d’Etat sera également fragilisé. Enfin, « l’effet domino » d’une restructuration de la dette grecque (incidence sur la situation du Portugal, de l’Irlande, de l’Espagne) risque d’être difficile à maîtriser.
Une voie suggérée pour alléger le déficit public grec serait de privatiser une partie des actifs détenus par l’Etat. Des entreprises appartenant au secteur ferroviaire, aux télécommunications, à l’assainissement des eaux, au secteur portuaire ont été identifiées. Ces ventes devraient rapporter plus de 50 milliards d’euros, sauf qu’il faut d’abord trouver des acheteurs, ce qui n’est pas évident, lorsque l’on sait que plusieurs de ces sociétés sont fortement endettées !
Si cette restructuration de la dette grecque apparait comme fort probable, elle ne résoudra pas pour autant le problème de fond de l’économie grecque : son manque de compétitivité. En effet, la Grèce a vécu largement au-dessus de ses moyens. Elle a bénéficié pendant des années de financements à des taux anormalement bas (grâce au parapluie de l’euro), de subventions communautaires excessives, l’ensemble de cet argent servant plus à favoriser la consommation des Grecs que l’investissement industriel. Dans le même temps, le pays s’appuie sur une monnaie surévaluée, l’euro, la Grèce étant rentrée dans la zone monétaire à un cours trop élevé.
On retrouve donc l’argument que j’ai évoqué longuement depuis 10 ans : la zone euro n’est pas optimale, dans la mesure où elle est composée de 2 ensembles : d’une part, l’Europe du Nord et la France, qui forment un territoire homogène, d’autre part, les Etats périphériques (en grande partie, l’Europe du Sud) qui n’ont pas les mêmes structures économiques : la Grèce est très dépendante du tourisme ; le Portugal est peu industrialisé ; l’Irlande est dépendante de son statut de quasi-paradis fiscal. Pour retrouver la compétitivité, ces pays doivent dévaluer, ce qui ne peut être réalisé qu’en sortant de la zone euro !
Par ailleurs, certaines habitudes culturelles sont véritablement atypiques dans ce pays : les citoyens grecs ne paient pas leurs impôts ; la corruption est endémique ; le coût de la main d’œuvre trop élevé pour une économie « semi-développée » et les statistiques économiques sont « truquées ».
En ce qui concerne la Grèce, le verdict devrait tomber assez vite : restructuration de la dette et sortie de la zone euro. Pour les autres il reste un peu de répit.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC PARIS
Président d’Honneur CLUB FINANCE HEC