Un français domine le monde du trading ?

Le nom de Samarth Agrawal vous dit quelque chose ? Pas trop ? C’est logique. L’histoire s’est déroulée aux États-Unis. Cet employé de la Société Générale a été condamné à trois ans de prison en début d’année pour avoir volé le code du système de trading à haute fréquence. La Société Générale avait estimé que ce vol lui avait coûté 10 millions de dollars et avait demandé qu’Agrawal soit condamné à plus de soixante ans de réclusion. Pourquoi est-ce que je vous parle de ce personnage ? Eh bien, au moment du procès, les avocats d’Agrawal ont mentionné un autre personnage du nom de David Faucon. Il serait le créateur originel du code en question et toute cette histoire tournerait autour de la création – ou pas – d’une branche concurrente. Bref, six mois après la condamnation, voilà t’y pas que David Faucon (diplômé de l’ENSAE en 2001 si on en croit le site de ces derniers, donc probablement français vu son nom) se présente en septembre au perchoir de la bourse de New York pour sonner la cloche, honneur réservé à ceux qui ont un lien étroit avec le marché : il est maintenant le CEO d’une société appelée Latour Trading. Inutile de chercher des informations sur cette société, leur page Internet est blanche et vide, et les références sur Google quasi inexistantes. Tout au plus on trouve-t-on un historique de quelques offres d’emplois (une douzaine passées fin 2009-début 2010) pour des spécialistes du trading automatique payés entre 100 000 et 200 000 $ . Dix jours plus tard, Latour Trading refait parler de lui. Le NYSE publie chaque semaine les volumes de trading réalisés par les acteurs du trading automatique la semaine précédente. Et là, tenez-vous bien, Latour Trading se paye le privilège d’être de ceux qui ont passé le plus d’ordres sur le NYSE du 26 au 30 septembre avec pas moins de 485 millions de titres négociés. Ce record les met dans la lumière, mais, déjà depuis le début de l’année, les initiés ont vu leurs chiffres grossir lentement mais sûrement, passant à la 5e place en moyenne avec 125 à 150 millions de titres échangés, record qui leur a permis d’éclipser Goldman de la première place. Ceci étant dit, moi je dis ça, je dis rien puisque toutes les infos sont cachées. Qui est vraiment Latour, qui est derrière ? Pour autant sur la liste des vingt plus gros traders en volume sur le NYSE, trouver à la première place du classement une société dont on ne sait rien, qui n’est pas un acteur de premier plan (au même titre que Goldman, J.P. Morgan ou Barclays qui trustent ce classement), un acteur du trading à haute fréquence dont le CEO est mentionné dans une histoire de vol de code…. ça retient mon attention et ne contribue pas du tout à me rassurer sur la soi-disant intégrité du marché en question. Vous croyez que l’histoire s’arrête là ? En grattant un peu sur le site de la SEC, on trouve l’audit de leur comptabilité pour 2010. Sur ce document, il est précisé que Latour est détenu en totalité par une société qui s’appelle Tower Research. (Tiens, Tower en anglais qui détient, Latour dirigé par un Français.). L’adresse de Tower est au 11e du même immeuble que Latour et, chose étrange, avec le même numéro de téléphone. Forcément quand on passe 485 millions d’actions en une semaine, on n’a pas trop le temps de faire installer une deuxième ligne pour avoir son propre numéro. Au même numéro de téléphone, on trouve aussi un courtier du nom de Lime Brokerage. Pas la peine de faire un tour sur leur site, il est tout aussi simple que celui de Latour, une unique page blanche. Il y a certainement des raisons pour que tout ce petit monde soit organisé de la sorte, mais je dois vous avouer que ça ne me rassure pas beaucoup sur leur capacité à passer 485 millions de titres en une semaine, d’autant que ça ne s’arrête pas là. Le CEO de Tower (ceux de l’étage du dessus) est Mark Gorton. En cherchant des infos sur ce monsieur, je suis tombé sur un article du Financial News qui parle des plus gros acteurs du Nasdaq OMC (une place de marché en Europe) et dans cette liste on trouve un nom que très peu de monde avait entendu auparavant : Spire Europe. Et devinez qui détient Spire Europe… bingo, notre nouvel ami maître du monde, Mark Gorton et Tower Research. Pour l’anecdote, Spire Europe n’a atteint que la deuxième place du classement sur le Nasdaq OMC derrière Getco. Et, bien sûr, au moment de la parution de l’article du Financial News, Spire, Tower ou Gorton n’étaient pas joignables pour commenter… Celui qui fait la blague Gorton Gekko, il va au coin pendant deux articles. En tout cas, moi, y a pas à dire, je me sens rassuré de savoir qu’une boîte de quelques gars dont on ne sait presque rien passe pas loin de 10 % du volume aux US, en Europe et qui sait où encore.